"Les sages resplandiront comme la splendeur du firmament et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre seront comme les étoiles, pour toute l'éternité. Toi, Daniel, cache ces paroles et scelle ce livre jusqu'au temps de la fin. Beaucoup le scuteront, et la connaissance augmentera".
Daniel, 12, 3-4
Source Planète plus o.c page 116 à 119 ( Par Jean During)
1-Le symbolisme: forme sensible de l'initiation:
2-Trouver en soi- même et pour soi- même:
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On a coutume de désigner sous le nom de "mystique" toute voie de développement spirituel et plus particulièrement celles qui sont rapportées par les traditions orientales, alors que le mysticisme est quelque chose d'exclusivement occidental et chrétien. Cette attitude est sans doute la meilleure façon de reléguer dans l'ombre une doctrine au caractère universel dont toute les cultures renferment des résidus plus ou moins vivants, mais conservés dans des structures immuables. Cette doctrine trouve chez l'homme sa réalisation ultime dans un processus de réalisation dont le système et la forme sont inhérents à toute organisation quelconque, sans pour autant les éclairer de sa signification. Ce processus, soumis à des lois extrêmement précise et toujours similaires (à quelque domaine qu'il se limite), est celui de l'initiation.
Si on définit l'initiation comme la préparation et l'entrée dans une sphère qulconque de l'ensemble des possibilités humaines, il n'existe au sens absolu qu'une seule initiation possible qui englobe toutes les autres, et dont on peut rendre compte en termes métaphysiques. C'est en premier lieu l'évidence et la rigueur de cette voie qui la distinguent de la religion et de la mystique en général, qui sont avant tout une réalisation passive du sentiment, dont les caractères sont pratiquement indéfinissables. Le processus initiatique se fonde au coeur de l'ontologie et prélude toute opération de l'esprit. Sa manifestation est l'existence elle-même, envisagée dans sa totalité, c'est à dire: vie et mort. L'une et l'autre ne sont qu'une manifestation possible de l'être et du non-être qui ne sont que les deux aspects de l'infinité des possibles, qui n'est elle-même qu'une possibilité d'aspaect de l'infini.
L'infini est intériorisé à travers le processus de l'initiation dont la finalité ultime est la délivrance, c'est à dire la suppression de toute limite. Une de ces limites est la mort envisagée comme néant d'existence, comme néant pur du point de vue profane qui est caractérisé par ce seul souci d'exister sur lequel s'organisent les aspirations et les besoins de la multitude. L'existence n'est donc qu'une modalité de l'être, un de ses états dont la multiplicité recouvre toute une hiérarchie de degrès d'extension, dont le plus haut réalise l'extension infinie, la Délivrance. L'initiation est le seul moyen de franchir ces états successifs, ce qui ne peut se faire tout seul pour la simple raison que tout changement d'état ou de forme exige en quelque sorte de mourir à l'état précédent pour renaître dans un autre; de même qu'on ne naît pas à la vie spontanément, de même il est impossible d'opérer par soi-même ce changement qualitatif. ::
Le symbolisme: forme sensible de l'initiation:
Les conditions de ce passage sont fixées de façon rigoureuse dans la tradition dont l'origine remonte au temps où les hommes n'avaient nul besoin d'être initiés en raison de leur proximité naturelle à l'égard du Principe. La Tradition est le fil qui permet de remonter à cet état primordial ou du moins d'en restaurer les possibilités; on peut donc définir l'initiation comme seconde naissance et régénération. La tradition consiste en la transmission d'une influence spirituelle par une chaîne ininterrompue d'êtres initiés qui en conservent les formes intégrales depuis l'origine et indépendamment de tout conditionnement historique ordinaire. Les éléments principaux de la Tradition sont d'abord la science des symboles, envisagés comme les formes fondamentales de la représentation, puis la science des rites ou des manifestations transcendantes de l'existant.
Le symbolisme est la forme sensible de tout enseignement initiatique; c'est le seul mode de représentation possible de l'universel, car comme langage il détient la compréhension la plus limitée et l'extension la plus vaste; c'est à dire qu'il exprime le plus haut degré d'abstraction tout en légitimant des interprétations multiples et nullement contradictoires mais se complétant entre elles puisqu'elles n'expriment que des points de vue qualitativement différents. Mais le symbole ne peut livrer sa signification d'emblée; car celle-ci n'est autre que la synthèse des correspondances entre les multiples ordres de réalité qu'elle englobe. Le niveau de cette synthèse est fonction de l'étendue de l'horizon intellectuel de chacun, et il est impossible de communiquer directement cette compréhension qui ne relève pas de la pensée discursive mais de l'intuition pure.
Le sens du symbolisme induit deux notions fondamentales qui sont les axes du système de l'initiation: l'ésotérisme et le sacré. La signification du symbole est incommunicable, cachée, secrète et inviolable car nul ne peut la pénétrer sans être initié à son tour. Mais rares sont ceux qui ont accès à cette connaissance. La distinction entre initié et "profane" définit la tradition dans l'ordre du sacré, non pas opposée au profane mais transcendante. Le secret initiatique (qui existe aussi effectivement à l'état de symbole) est une nécessité, car l'infini, notion qui domine l'édifice théorique, ne saurait être limité par essence inexprimable. Le caractère sacré inhérent à la tradition, marque simplement la dépendance du profane, c'est à dire d'un certain ordre de manifestation, à l'égard du transcendant dont il n'est qu'un aspect dégénéré et secondaire. L'existence ordinaire est profane au pire sens du terme, car nous vivons un cycle de dégradation des principes: le Kali Yuga de la tradition hindoue. Dans les conditions présentes, la connaissance spirituelle et les conditions de sa réalisation sont le privilège d'une rare minorité d'êtres qui possèdent les qualifications pour un travail sur eux-mêmes dont le but final est la grande libération.
Les conditions de cette réalisation requièrent le rattachement à une organisation dépendante de la Tradition à un degré plus ou moins proche et toujours légitimée à transmettre son influence spirituelle. En aucun cas un individu non qualifié ne saurait acquérir le degré d'être exigé par l'initiation, qui est elle-même conférée par un être ou une organisation assurant ainsi la continuité de la chaîne initiatique. Les éléments de cette chaîne constituent une petite élite dont les qualifications et les signes de reconnaissance n'ont absolument rien à voir avec les critères profanes. D'autre part il ne saurait s'accomplir une réalisation même préliminaire sans un rattachement effectif (mais parfois très subtil) à la tradition.
Les traits essentiels d'une organisation initiatique sont la rigueur dans le maintien des formes authentiques de la Tradition et la précision dans leur application. Toute défaillance aux principes entraîne la rupture avec la Tradition et la perte de son influence spirituelle, ce qui arrive à toute organisation profane qui ne conserve plus que les lettres mortes de la connaissance et des symboles sacrés: c'est en quelque sorte le destin de l'art des mythes ou de l'écriture qui à l'origine étaient des éléments vivants de transmission spirituelle. Mais il existe aussi des organisations exotériques qui pour certaines raisons dépendent d'un centre initiatique véritable, ceci à l'insu de leurs membres et sans possibilité de réalisation en ce qui les concerne.
Enfin il y a un nombre invraisemblable d'organismes qui, s'inspirant ou limitant ce qu'il y a de plus extérieur dans la tradition, servent les fins les plus douteuses; ceci concerne les sociétés secrètes au symbolisme approximatif et pseudo-initiatique, dont les buts ne sont pas exclusivement spirituels. Sans parler de tous les groupements plus ou moins religieux constituant des sectes, c'est à dire des scissions, des divisions, ce qui est contradictoire avec l'unité et l'universalité de l'ésotérisme. D'ailleurs la plupart des religions ne sont qu'un aspect ouvert, subordonné à l'initiation (par le simple fait qu'elle s'adressent à tous sans distinction de niveau, les religions ne sont qu'un instrument de salut, non de délivrance). Ainsi, christianisme, bouddhisme, hindouisme ou confucianisme ne sont que les diverses modalités de manifestation d'un même principe qui ne saurait être réduit à des simples questions de dogme, de croyance ou d'opinion. En revanche il est particulièrement difficile de rendre compte en termes"positifs" des caractères d'une organisation initiatique, (d'autant qu'il n'existe plus en occident de centre capable de conférer une initiation effective).
Le secret irréductible à l'expression profane, ne peut s'exprimer que dans la négation de celle-ci. Ce n'est que dans la mesure où le secret est la négation du conditionnement, de la finitude et des limites de l'existence, qu'il renvoie à l'infini et se pose comme affirmation pure. En conséquence, à l'inverse du point de vue profane, la tradition rejette toute manifestation existentielle qui n'est qu'un degré particulier de la manifestation totale, elle-même résorbée dans le non-manifesté, domaine de la connaissance pure. Ce privilège du non-manifesté renvoie à la négativité l'essentiel des apparences du processus initiatique, ce qui par contre autorise une influence spirituelle authentique.
En conséquence l'initié ne possède pas de signes de reconnaissances au regard du profane; il vit dans l'anonymat le plus total, sous le masque du silence, bien qu'il soit parfois amené à prendre des déguisements les plus variés selon les circonstances, ce qui n'est nullement une dissimulation, mais une façon de revêtir la pureté de son Soi des apparences de l'individualisme et du moi social dont il a dépassé la condition. L'idée de non-manifesté préside aussi aux méthodes de transmission initiatiques; la parole et le geste sont toujours préférés à l'écriture qui n'en est que le résidu; l'enseignement est essentiellement oral et en définitive se fonde sur le silence qui plus qu'une simple nécéssité pédagogique, doit être considéré comme une clef de l'ésotérisme. (la clef du sens étymologique de mythe, mystère, mystique, est la notion de silence.)
Cet aspect de la question ne saurait être assimilé à une forme quelconque de passivité ou de quiétisme: le silence n'est pas l'absence, le non-agir n'est pas l'inaction pas plus que l'influence spirituelle n'est une suggestion. L'initiation n'a aucun contenu psychique, et s'adresse d'ailleurs non seulement à l'intellect mais à l'entendement, et en général à toutes les facultés supérieures qui participent à la connaissance des forces et des éléments subtils, c'est à dire non investigables par les moyens de la science matérialiste. Précisons que ce domaine est notamment celui de la magie, de l'occultisme et du spiritisme; mais alors que ces sciences n'y recherchent que des moyens d'action proprement satanique, l'initiation par contre n'accorde à ces forces que la valeur d'instruments dérisoires qu'elle maîtrise à son gré mais dont elle se détourne. En aucun cas il ne s'agit de s'arrêter à ce domaine du "monde intermédiaire" plus qu'il ne convient pour lui assigner la place d'un ensemble de phénomènes tout à fait naturels; le contraire étant comme pour le mystique qui, lui, les subit, une entrave à la libération spirituelle.
Même dans ses rares incursions dans ce monde, les mobiles et les moyens mis en oeuvre n'ont rien à voir avec ceux des "sciences spécialisées", généralement inconscientes et néfastes, et laissées à ceux qui n'ont pas accès à l'initiation. Toutefois les plus hauts degrès initiatiques s'accompagnent des facultés transcendantes qui caractérisent les lumières spirituelles, et dont l'aspect le plus évident et sensible est l'indépendance vis à vis des limites corporelles, physiques, spatiotemporelles et mentales. Mais l'être parvenu à cet état se soucie bien peu de mobiliser ces facultés, qui sont la conséquence de sa réintégration à l'état primordial. Le chemin qui mène au but suprême est l'inverse de celui que parcourut l'humanité (de l'âge d'or aux temps présents); les différents âges mythiques qu'elle traversa, correspondent à divers niveaux d'initiation.
La notion de hiérarchie recouvre l'ensemble de tout système initiatique, en ce qui concerne les qualifications de ses membres et leur fonction. Elle ne se fonde pas seulement sur les rapports entre le sacré et le profane, mais frappe de sa structure la Tradition elle-même. Soulignons que de façon absolue ces niveaux ne sont pas disjoints mais correspondent aux aptitudes de chacun pour l'accomplissement de la Voie. En pratique les niveaux d'initiation sont surtout figurés à la façon de repères symboliques dont seul est absolu celui qui fait la synthèse de tous les états possibles de l'être et de leur réalisation, au-delà de toute variante théorique: "l'élection suprême" qui désigne "l'Adepte". Ces notions sont à la base de toutes les descriptions plus ou moins fantaisistes du "Macrocosme" et des "mondes supérieurs" avec ses hiérarchies d'anges, d'archanges, ou de divinités, dépendants tous d'un maître suprême qui n'est autre que la figure de Dieu.
Il est significatif que Dieu soit appelé le Seigneur ou le Guru suprême, ce qu'il faut comprendre comme la source lumineuse et la garantie de l'initiation qui réalise la plénitude de l'état humain dans laquelle il n'est séparé-comme il est dit dans le Coran-que de "deux longueurs d'arc (le savoir et l'Être), ou même encore plus près". Cette distance signifie aussi que l'influence spirituelle ne s'exerce jamais de façon directe mais par le truchement d'un maître, d'un guru, qui amène l'initié à la possibilité de la recevoir. Il existe toutefois des cas très exceptionnels où le maître ne dépend en aucune façon des conditions limitatives de notre existence, et accorde son aide à un être qui pour des raisons contingentes se trouve dans l'impossibilité de se rattacher à l'enseignement d'un centre initiatique régulier. (C'est le type d'initiation que reçut Moïse et la Sainte Vierge).
La signification profonde du guru rejoint le sens du secret; en effet le guru humain n'est autre qu'une sorte de substitut du "guru intérieur", qui est le seul principe conduisant à l'identité suprême. Le travail du maître consiste essentiellement à aider le nouvel initié à s'entretenir avec son guru intérieur. Bien que cette tâche soit de première importance, il est encore possible de s'en passer pour recevoir une influence spirituelle, à la condition d'un travail en groupe entre initiés. Tels sont les aspects généraux de la voie initiatique, du moins comme le rapporte Guénon qui se défend bien de faire une oeuvre personnelle, mais se borne à transmettre au niveau exotérique ce dont il a été lui-même le dépositaire, à un niveau qu'il ne nous est pas possible de définir. Il y a bien sûr quantité de points qui méritent un développement et sur lesquels Guénon revient souvent avec patience, visant à extirper de notre représentation tout élément fortuit et tout jugement hâtif. Car avant toute chose l'Initiation est la soumission à la règle, non pas au niveau répressif d'un dogme, mais à celui d'une compréhension et d'une conformité aux principes de toutes choses.
Trouver en soi-même et pour soi-même:
Dans les circonstances ordinaires, ces principes se limitent à des lois naturelles qu'il est impossible de comprendre, mais qu'on se borne à constater et à appliquer en parfaite inconscience. Par contre la tradition a une origine non-humaine qui garantit l'infaillibilité de sa doctrine; seulement sa connaissance n'est rien en elle-même, pas plus que les symboles et les rites qui l'illustrent, sans le degré de spiritualité qui lui correspond. Voilà pourquoi il importe moins d'en dévoiler le contenu que d'en manifester les signes. Ces signes groupent l'ensemble des phénomènes ou institutions traditionnelles, même au sens le plus exotérique du terme. Si on s'en tient simplement à un point de vue épistémologique, les mécanismes de l'initiation et ses éléments théoriques fournissent à l'intelligence des schémas d'interprétation de tout phénomène culturel. Cela est surtout évident en ce qui concerne la dimension symbolique particulièrement négligée par les sciences humaines et qui seule peut rendre compte des mythes, des arts, des rites, des lois, de la morale, de la religion, du folklore ou de la langue, sans parler du domaine spirituel proprement dit.
Il va sans dire que la Tradition va à l'encontre du processus de dégradation dont il nous reste à aborder les phases ultimes; car tout ce mouvement historique qui définit l'idée de progrès, est fondé sur le privilège de la matérialité, dont les effets ne peuvent que rétrécir davantage nos limites et entraîner l'humanité "vers un conditionnement d'insectes stupides". Ce même mouvement a déjà conduit à traduire Unité par uniformité, infini par indéfini, qualité par quantité, libération spirituelle par liberté de penser, non-individualisme par dépersonnalisation, Doctrine par dogme, certitude par sécurité. Toutes ces manipulations qui s'opèrent sur une vaste échelle, contribuent efficacement à accélérer la dégradation de l'humanité de manière absolument irréversible. Mais le sens de l'accomplissement n'est pas orienté vers le monde; c'est avant tout en soi-même et pour soi-même qu'il s'agit de trouver cette vérité, ou du moins les traces qui subsistent en chacun de nous, sans pour autant s'illusionner sur le niveau de ses possibilités et les modalités de leur accomplissement.
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