Bibliographie o.c page 50 N.R.F 1951

H. Bosco rapporte l'essentiel d'une conversation qu'il eut avec André Gide à Rabat: "La conversation s'étant quelque peu échauffé", raconte Henri Bosco, il (André Gide) s'écria soudain: "Si Guénon a raison, eh bien! toute mon oeuvre tombe...A quoi quelqu'un lui répondit: "Mais alors d'autres tombent avec elle, et non des moindres, celle de Montaigne, par exemple..." C'était, certes, tomber en excellente compagnie, et, en fait, ne pas trop courir le risque de tomber vraiment. En évoquant cette chute fictive et fraternelle de Montaigne et de Gide, on réservait la part du moraliste. Elle est de taille.

Gide réfléchissait. A le voir, il ne semblait pas satisfait de cette éventualité, somme toute, très honorable: elle l'inquiétait. Enfin, ému, il avoua la raison de son inquiétude: "Je n'ai rien, absolument rien à objecter à ce que Guénon a écrit. C'est irréfutable." Comme aucun de nous ne se jugeait en mesure de réfuter ce que Gide, lui-même, venait de déclarer irréfutable, on se taisait. L'aveu inattendu était d'une telle importance qu'il ne pouvait être suivi que d'un silence approbatif dont cependant nul de nous n'attendait qu'il annonçât une déclaration de ralliement à la doctrine de Guénon. ::

En effet, Gide dit: "Les jeux sont faits, je suis trop vieux." Ce retour sur lui-même, loin de l'abattre, le réconforta. Il reprit pied. "Et puis, affirma-t-il, j'aime passionnément la vie, la vie multiple. Je ne consens pas à priver la mienne du plaisir qu'elle prend à la diversité merveilleuse du monde, et pourquoi? pour sacrifier à une abstraction: à l'unité, l'Unité indéfinissable! Mais définir me plait par-dessus toutes choses.

Les êtres limités, les créatures périssables, seules m'intéressent et suscitent mon amour, mais non pas l'Etre, l'Etre éternel, l'Etre illimité. Je ne tiens pas du tout à m'y perdre, mais , bien au contraire, à m'y conserver, tant que je vis."

 

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